La résidence artistique
Dans le cadre du Parcours d’Education Artistique et Culturelle, la classe de 4e4 du collège Paul Féval de Dol-de-Bretagne a pu bénéficier d’une résidence artistique inédite alliant poésie et jeu vidéo grâce au soutien de la DAAC, de la DRAC, de la Maison de la Poésie de Rennes et de l’association 3HitCombo qui organise chaque année le Stunfest, festival du jeu vidéo de Rennes.
L’objectif de l’enseignante, Estelle Plaisant-Soler, était d’offrir aux élèves de cet établissement relevant de l’éducation prioritaire en zone rurale une ouverture culturelle et une découverte de l’écriture poétique qui prenne appui comme point de départ sur une pratique de loisir répandue chez les collégiens : le jeu vidéo - avec une nuance cependant, car, si la majorité des élèves de la classe, filles et garçons, jouent sur leur téléphone portable, moins de la moitié d’entre eux dans cette classe jouent sur console ou sur plateforme.
Ce projet pédagogique annuel associant poésie et numérique a été mené sur six mois, de janvier à juin 2022, avec un temps fort en février, lors de la résidence à Dol-de-Bretagne du poète Gabriel Gauthier et du comédien, musicien et artiste vidéoludique Maxime Devige.
Cette résidence artistique a abouti à plusieurs créations complémentaires :
- un recueil poétique intitulé « C’est la fin des paillettes, on n’a rien fait je vous le jure » (téléchargeable plus bas)
- un jeu de cartes, dans l’esprit des cartes Magic ou des cartes Pokémon, détournées pour en faire des objets poétiques d’une forme inattendue
- un jeu de rôle et d’exploration développé par Maxime Devige sur RPG Maker MZ
L’organisation concrète
Accueillir une résidence artistique, en tant qu’enseignante, est une expérience pédagogique étonnante : au-delà de l’organisation matérielle concrète, et de la mise en confiance des élèves et des artistes, c’est un moment de lâcher-prise très inhabituel. Il faut renoncer à savoir à l’avance ce à quoi on veut aboutir à l’issue de la séance et accepter d’accueillir l’inattendu. Pour le poète Gabriel Gauthier, les consignes d’écriture, bien que réfléchies et construites en amont, restaient très différentes d’un exercice défini : « Pour moi, écrire un livre, c’est trouver la méthode pour l’écrire. De même écrire un poème, c’est essayer d’arriver à un poème, c’est en même temps trouver sa solution. »
En amont de la rencontre avec les artistes, les élèves ont découvert la poésie contemporaine en lisant des ouvrages récents, le CDI de l’établissement disposant d’un fond assez variés acquis une dizaine d’années plus tôt. Afin de préparer l’entrée dans la poésie par l’émotion et la sensibilité plutôt que par l’analyse, la seule consigne donnée à l’occasion de cette lecture était de recopier dans leur journal de lecteurs quelques poèmes ou quelques vers qu’ils avaient aimés.
Pendant les trois semaines de la résidence artistique de Gabriel Gauthier et Maxime Devige au collège Paul Féval, les élèves ont écrit, réécrit, retravaillé et poli leurs créations avec les artistes à raison de deux heures par jour, quatre jours par semaine, pendant trois semaines.
La démarche artistique : des allers-retours entre image et écriture poétique
Les consignes imaginées par Gabriel Gauthier et Maxime Devige visent à morceler le processus créatif pour permettre l’émergence d’une parole authentique et éviter aux élèves de se perdre dans le cliché ou la démonstration.
La consigne initiale demandée aux élèves, et aux adultes, a été d’amener, le jour de la première rencontre, un objet personnel qui, sans être précieux financièrement, l’était intimement pour eux. La majorité d’entre eux a joué le jeu.
Les objets ont été photographiés.
- Album des objets personnels photographiés
La première consigne d’écriture, volontairement non poétique, a consisté à écrire autour de ces objets : en faire une simple description et/ou exprimer la relation intime et sentimentale que l’élève avait nouée avec lui.
Lors de la deuxième séance, ces images ont été médiatisées une première fois par les artistes qui se sont inspirés des descriptions et des récits des élèves pour créer un diaporama d’images issues de l’univers du jeu vidéo, du manga et du cinéma. Le lien avec les récits intimes des élèves restait perceptible, mais décalé, transformé.
- Diaporama des objets médiatisés par les artistes
À nouveau, la consigne d’écriture donnée aux élèves a paru volontairement non poétique. Pour chaque image du diaporama, projetée au tableau pendant environ une minute, les élèves devaient écrire une seule phrase. Une phrase verbale ou averbale, purement descriptive ou émotive, à la 3ème personne ou en employant le pronom personnel « je », etc.
À l’issue de ce temps d’écriture initial, Gabriel Gauthier a demandé aux élèves de retravailler cette succession de phrases, pas très éloignée formellement d’une sorte de cadavre exquis, afin d’en faire un texte, en supprimant, déplaçant, recomposant les phrases, mais sans les réécrire.
Les textes sont lus oralement, retravaillés, lus à nouveau, provoquant dès cette deuxième séance, des moments d’émotion partagée, de rires et déjà de surprises esthétiques. A l’issue de ces deux premières séances, les élèves ont été embarqués par les artistes dans leur processus créatif, y compris ceux qui, du fait de situation de handicap ou de difficultés spécifiques vis-à-vis de l’écriture, étaient au départ les plus réticents.
Ce travail de médiatisation successive de l’intime et de la subjectivité par différentes strates d’images et d’écriture s’est répété dans un deuxième temps autour des lieux, puis des personnages : les élèves ont d’abord dû chercher une image d’un lieu qui leur était cher, lieu réel ou lieu imaginaire, avant d’écrire à partir de ces images, puis, à nouveau à partir d’un diaporama de captures d’écran de jeux vidéo, inspiré aux artistes par leur premier jet d’écriture.
- Album des lieux réels et imaginaires
À l’issue de ces temps d’écriture, les élèves et les artistes disposaient de la matière pour concevoir le jeu vidéo dont l’idée a émergé progressivement : lieux, objets, personnages, cela définissait un jeu d’exploration, de quête et de rencontres.
Le recours à l’image comme déclencheur de l’écriture poétique
La démarche d’écriture initiée par le poète s’appuie sur des consignes précises. Pour autant, les règles initiées ne relèvent exactement ni du cadavre exquis, ni de l’écriture automatique, ni de l’Oulipo. Gabriel Gauthier explique ainsi : « J’aime la contrainte, mais sans m’enfermer, en cherchant à s’en échapper. Je préfère le mot contrat plutôt que contrainte ».
Pour Gabriel Gauthier, le recours à l’image est un détour qui permet d’éviter les clichés et les représentations stéréotypées que les élèves ont de ce à quoi doit ressembler un poème, sans pour autant supprimer toute subjectivité grâce à la consigne initiale.
J’ai commencé le travail poétique avec les élèves en le morcellant, en ne montrant pas d’emblée le puzzle complet. Si on dit à un élève qu’il va écrire un poème, il a tout de suite une vision assez fermée. Mais si on lui dit d’écrire une phrase, et ensuite une deuxième, à partir d’images diverses, il va produire des phrases qui a priori n’ont aucun lien entre elles et sont toutes différentes. Sauf qu’il y a bien un lien, c’est l’élève lui-même. Et ces deux phrases qui n’ont rien à voir ensemble, elles peuvent éventuellement donner naissance à une troisième qui va dire quelque chose de la subjectivité de l’élève.
C’est trop dur de demander à un élève de parler de l’intime, de l’intériorité. Il vaut mieux décrire cette chose qui n’est pas soi, cette image complètement extérieure, parce qu’à la fin je parlerai de moi. Je n’ai pas à m’inquiéter, je parlerai de moi. Pour que l’intime apparaisse, selon moi, il ne faut pas dire aux élèves de parler de soi. Il faut leur dire de regarder l’extérieur, car le dehors est comme une maison hantée, habitée. Le dehors parle de moi.
Les différents états des brouillons des élèves montrent ainsi l’émergence de la subjectivité, et des choix d’écriture.
Écriture poétique à partir d’images et travail du brouillon, par eaps
Le retour vers l’image comme création poétique grâce à l’intelligence artificielle
Le passage de l’écriture poétique à la création vidéoludique s’est fait d’abord via l’utilisation du logiciel d’intelligence artificielle graphique Dream by Wombo. Pendant une séance d’une heure, les élèves ont interrogé le logiciel en lui proposant des phrases issues de leurs propres poèmes, et en modulant leurs interrogations jusqu’à obtenir quelque chose qui leur convienne.
L’Intelligence Artificielle graphique dans le processus créatif des élèves, par eaps
L’objectif de ce recours à l’IA était d’associer sur chaque carte à jouer un extrait d’un poème de chaque élève et une image qui ne soit pas directement celle qui l’avait inspirée, mais une illustration-réinterprétation.
- Les cartes à jouer créées
À côté du recueil de l’ensemble des poèmes, ces cartes à jouer sont une autre forme d’objets poétiques, qui opèrent la transition entre la dimension concrète de l’objet-texte, et son inscription dans l’univers virtuel du jeu.
Les images au cœur de la résidence artistique, par eaps
Le jeu vidéo comme création poétique
Pour Gabriel Gauthier, la multitude de petits poèmes écrits, réécrits et polis par les élèves donne naissance à « un jardin commun. Chaque poème est un petit univers. » et c’est tout naturellement que s’est ensuite imposée l’idée d’un jeu vidéo qui soit, à l’image de ces poèmes un « infini mini-monde ».
Le jeu vidéo créé par Maxime Devige, tout en conservant l’allure d’un RPG de quête et d’exploration classique, devient un autre mode de lecture des poèmes. Au cours de son périple, le joueur va rencontrer les avatars de tous les élèves qui prononceront quelques vers de leur création. De plus, en consultant la bibliothèque, le joueur peut accéder à tous les poèmes des élèves. Dans le gameplay, cette consultation est un passage obligé afin d’enrôler l’avatar de Gabriel dans la quête.
Les effets sur le long terme d’une démarche pédagogique : découvrir la poésie par l’écriture et la pratique artistiques
La séquence consacrée à Dire l’amour en poésie est restée classique et l’analyse des textes poétiques par les élèves est restée plutôt habituelle, avec cependant l’expression plus récurrente de sentiments ou d’émotions esthétiques.
Mais l’engagement des élèves dans des activités d’écriture et de lecture poétiques dans un environnement numérique est resté extrêmement soutenu jusqu’aux tout derniers jours de l’année. Des actions plus ponctuelles autour de la poésie et du numérique ont ainsi rythmé les mois suivants :
Engagement de la classe dans une performance poétique collaborative en ligne en hommage à la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec.
Pendant une heure, le jour de l’anniversaire de la mort de George Perec, les élèves de la classe, postés à différents lieux du collège, ont fait l’inventaire de leur établissement scolaire. Les productions écrites, twittées par l’enseignante depuis le compte Twitter de la classe, ont ainsi permis, avec les 75 autres participants à cette performance, de faire monter pendant une heure le #Perec40 dans le Top 5 des tendances de Twitter. Cette opération a été l’occasion de sensibiliser les élèves à la technique du « raid », souvent utilisée par des groupuscules dans le cyber-harcèlement ou pour la manipulation des tendances à des fins politiques.
Engagement de la classe dans un marathon de lecture de poétesses à l’occasion du Printemps des poètes
À la suite de la résidence artistique poétique, plusieurs enseignantes du collège se sont engagées dans le concours #JeLaLis. Les élèves ont lu des œuvres poétiques d’autrices sur Wikisource, et choisi un ou plusieurs poèmes dont les lectures orales ont été enregistrées et publiées sur la plateforme Toutapod, puis sur le compte Twitter du projet.
Les élèves de la 4ème 4 ont également animé une brigade d’intervention poétique et déclamé des poèmes dans des classes et dans la cour du collège.
Afin de renforcer les chances du collège dans le concours #JeLaLis, Félix, un élève de la classe, a lu, enregistré et publié sur Wikisource sous licence Creative Commons une dizaine de lectures de la poétesse dinardaise Judith Gauthier.