Regard philosophique sur le Covid

John Stuart Mill et la pandémie

« Souvent, on fait appel à la liberté quand on pense à ses intérêts propres »

Le mot « liberté » revient sans cesse dans les débats autour des mesures sanitaires et de la vaccination. L’éclairage de la professeure de philosophie Simone Zurbuchen.

À l’heure où les restrictions se durcissent face à la 5e vague, Simone Zurbuchen, professeure de philosophie à l’UNIL, revient sur le concept de liberté individuelle. Et ses limites.

Le mot « liberté » est servi à toutes les sauces en ce moment. Voyager, visiter nos parents, rencontrer des amis au bar du coin… Tout cela allait de soi, avant. À travers les restrictions, nous avons réalisé la valeur de ces libertés et combien elles nous sont chères. C’est peut-être pour ça qu’on en parle autant. Je pense aussi qu’il y a, chez certains, une confusion entre le droit de réaliser ses intérêts égoïstes et le vivre en société. Très souvent, on fait appel à la liberté quand on pense à ses intérêts propres, sans tenir compte de ceux des autres.

« Il y a chez certains une confusion entre le droit de réaliser ses intérêts égoïstes et le vivre en société. »

Qu’est-ce que la liberté, au juste ?

Il faut distinguer deux idées de la liberté, en philosophie. Premièrement : la liberté de la volonté ; ce qu’on appelle le libre arbitre. Dans le contexte du Covid, c’est l’idée de liberté d’agir en société qui est pertinente. Cette liberté individuelle ne doit pas être confondue avec la licence. Pour rendre la coexistence sociale possible, la liberté de l’un doit être compatible avec celle des autres. Il est une règle de réciprocité bien connue : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne souhaites pas que l’on te fasse. » Il est dans l’intérêt de chacun de limiter sa propre liberté pour la rendre compatible avec celle d’autrui.

« Pour rendre la coexistence sociale possible, la liberté de l’un doit être compatible avec celle des autres. »

Dans quelle mesure un État a-t-il le droit de restreindre la liberté des individus ?

Pour répondre, je propose de revenir à un texte du philosophe anglais John Stuart Mill. Dans son essai « De la liberté » (1859), Mill propose un principe simple. Selon lui, la seule raison légitime pour qu’un gouvernement restreigne la liberté d’action est d’empêcher une personne de nuire aux autres.

« Le fait que les gens en faveur de la vaccination tentent de persuader les opposants ne diminue en rien la liberté de ces derniers. »

Et si c’est pour son bien ?

Ce n’est pas une raison valable, selon Mill. Un individu ne doit pas être contraint d’agir pour son propre bien (antipaternalisme). Dans la mesure où ses actions ne concernent que ses intérêts propres, il est libre d’agir comme il le souhaite. Si une personne fume, par exemple, elle nuit à sa propre santé. Le gouvernement ne doit pas la contraindre à arrêter. Par contre, fumer dans les lieux publics peut être interdit afin de protéger la santé des autres.

Et dans le contexte actuel de pandémie ?

Un gouvernement est autorisé à restreindre la liberté individuelle pour éviter la diffusion du virus et protéger la santé de la population. Cela dit, il faut évaluer les conséquences négatives des restrictions. Je pense à la fermeture des écoles, par exemple. Il faut réfléchir à la proportionnalité de chaque mesure.

Rendre la vaccination obligatoire serait-il proportionné ?

[…]

Marie Nicollier Publié : 16.12.2021

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