Revue Perspective : « HABITER » (philosophie)

« Perspective : actualité en histoire de l’art » HABITER no 2021 – 2

On habite sa maison, un territoire, un lieu, la terre, mais aussi son corps… qu’il s’agisse de confins extrêmes ou des frontières de l’intime, habiter sa vie, la société, son temps, c’est aussi être au monde et être présent à autrui. Dans ce numéro de Perspective, historiennes et historiens de l’art, de la mode, de l’architecture, ou encore archéologues, philosophes, anthropologues et architectes, posent la question de ce que nous avons en partage : l’écologie (de oikos, la « maison »), mais aussi l’historiographie, entendue comme une écologie du regard et du savoir.

image ci-contre : Copie de la carte du monde dite d’Ebstorf (Basse-Saxe, Allemagne), vers 1300 (détruite), env. 3,6 × 3 m, 30 morceaux de parchemin cousus, Kulmbach, Landschaftsmuseum Obermain

À travers trois grandes conversations, la revue retrace les parcours de Monique Eleb, Bruno Latour et Tim Ingold, qui ont réfléchi à nos manières de voir, de mettre en images et d’habiter le monde. De l’histoire de l’habitat et de ses évolutions en France à la question de l’habitabilité et de ses représentations à l’heure de l’Anthropocène, en passant par les correspondances fécondes entre anthropologie, art et histoire de l’art, ces contributions explorent les mises en forme de nos existences et de nos voisinages.

Édition : Institut national d’histoire de l’art 2, rue Vivienne 75002 Paris Revue semestrielle Br. | 19 × 26 cm | 280 p. | 141 ill. couleur ISBN : 978-2-917902-92-9 25 € Disponible en librairie et en ligne sur www.lcdpu.fr FMSH Diffusion

Sommaire

Éditorial

Marine Kisiel et Matthieu Léglise

Tribune

Bruce Bégout, « La Hutte finale »

Débats

« On n’échappe pas aux ruines, “c’est que l’homme s’assied où la cendre de l’homme repose” » Un débat entre Martin Devecka, Rémi Hadad, Andrew Hui, Paul Landauer, Susan Stewart, mené par Jean-Paul Demoule et Alain Schnapp

« Lieux de vie, lieux d’images : une autre histoire occidentale de l’espace domestique » Un débat entre Gil Bartholeyns, Manuel Charpy, Magali Nachtergael, Anne Perrin Khelissa et Stéphanie Wyler, mené par Pierre-Olivier Dittmar

« Une architecture performative » Un débat entre Mathilde Chenin, Christopher Dell, Matthieu Duperrex, Marion Howa et Fanny Léglise, mené par Tiphaine Abenia et Daniel Estevez

Entretien « Habiter le monde et en être habités. » Correspondance entre Tim Ingold et Sophie Krier

« Écrire une histoire de l’architecture de la vie privée. Entretien avec Monique Eleb », par Estelle Thibault

« Voir à travers le manteau rapiécé de Gaïa : de la guerre des images à l’habitabilité terrestre. Entretien avec Bruno Latour », par Matthieu Duperrex

Essais

Alysée Le Druillenec, « L’Inhabitation trinitaire chez Thérèse d’Avila, objet d’une théologie en histoire de l’art ? »

Todd P. Olson, « Le Corp(u)s habité de Poussin »

Pascal Griener, « Une expérience de l’espace dans l’histoire culturelle : Jacob Burckhardt (1818-1897) »

Jean-Philippe Garric, « Imaginer la maison méditerranéenne en France à la période contemporaine »

Émilie Hammen, « Museum of Modern Art, 1944 : l’habit selon l’architecte Bernard Rudofsky »

Margaret Freeman, « Rendre leur âme aux fantômes : nomadisme et hantologie de l’architecture chez les Bédouins »

Raphaële Bertho et Denis Martouzet, « Habiter le Grand Paris : trois essais photographiques pour inventer un imaginaire partagé »

Extrait de l’entretien avec Bruno Latour, par Matthieu Duperrex : « Voir à travers le manteau rapiécé de Gaïa : de la guerre des images à l’habitabilité terrestre », p. 139-141

« – Bruno Latour. Là, le lien entre habiter, image, et représentation, est très important. C’est l’argument d’Où suis-je ?, en effet. On ne peut pas savoir ce que veut dire le mot “habiter” si l’on ne sait pas où l’on est. Ce lieu, ce “où l’on est”, a subi une transformation colossale avec ce que j’appelle les nouvelles sciences de la terre, avec la “zone critique” – pour ne pas aussitôt mobiliser le mot de Gaïa de Lynn Margulis et James Lovelock.

Mon apport à cette question de l’habiter, et à son lien avec les images, c’est d’avoir aussi […] dit […] qu’il fallait trouver une solution pour pouvoir appréhender visuellement la zone critique, parce que si on ne peut pas la voir, il devient inutile de nous seriner qu’il faut habiter autrement. Habiter la nature et habiter la zone critique, c’est complétement différent : il y a là un problème de représentation, au sens de la cosmologie la plus traditionnelle. J’y ajoute, avec peut-être beaucoup d’exagération, mais c’est aussi pour dramatiser la chose, le rapport avec toute la production incroyable d’images et de représentations cosmologiques au moment de la transition entre les xvie et xviie siècles. […] Il s’agit de trouver une représentation qui modifie très profondément les affects associés à la situation d’un lieu.

– Matthieu Duperrex. […] Regardant la pellicule de la zone critique et les questions que pose sa représentation visuelle, il y a sur votre table en ce moment ce livre récent, The Mantel of the Earth (Chicago, 2021), qui contient un commentaire sur la mappa mundi d’Ebstorf. – Bruno Latour. Ce livre est bourré d’érudition, il est magnifique, c’est un chef-d’œuvre. Les chapitres sur les Grecs, le Moyen Âge, sur les cartes jusqu’au xviiie siècle, sont vraiment fantastiques. Ce qui est très intéressant c’est la manière dont l’auteure y remplace la notion de globe par la notion de tissu, et l’incroyable série de connotations qui sont associées au tissu : le voile, le dévoilement… Veronica Della Dora offre là l’histoire longue de la métaphore du tissu, qui est en fait aussi celle que les scientifiques de la zone critique ou de Gaïa essaient d’inventer. C’est une contribution à l’histoire de l’art, et une proposition pour fournir de grandes métaphores aux sciences de la terre. Car si les scientifiques des sciences de la terre restent quand même obsédés par la vision du globe depuis l’extérieur, il est très difficile pour eux de sortir de ces métaphores.

Peut-être qu’on ne porte pas la zone critique comme Atlas, sur son dos, mais plutôt comme Hercule offre à Déjanire la tunique de Nessus ! »

Voir en ligne : Le numéro est accessible sur OpenEdition (accès ouvert à partir de juin 2022)

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