De l’expérience au modèle

L’objectif de cet article est de montrer comment construire un modèle [1] explicatif qui deviendrait prédictif.

En préambule, il est rappelé dans le programme de Sciences de la Vie et de la Terre que « …les activités expérimentales occupent une place centrale en SVT : pour répondre à un problème scientifique, l’élève examine la validité d’une hypothèse par la mise au point d’un protocole ; il confronte les résultats de l’expérience aux attentes théoriques ou à un modèle.  »

Cette activité prend appui sur une pratique classique de détermination expérimentale des vitesses initiales d’une réaction enzymatique. Cette activité d’expérimentation peut alors être prolongée par une activité de modélisation sur les résultats obtenus.

Niveau concerné : Première – Enseignement de Spécialité

THÈME : La Terre, la vie et l’organisation du vivant

Sous-Thème :Transmission, variation et expression du patrimoine génétique

Chapitre : Les enzymes, des biomolécules aux propriétés catalytiques

Exemple d’activité :

Au sein des cellules, les réactions biochimiques sont catalysées par des enzymes. Ces enzymes agissent sous certaines conditions. Elles agissent en petites quantités et se retrouvent inchangées à la fin de la réaction. On cherche à comprendre les mécanismes de la catalyse enzymatique.
- Problématique : Qu’est-ce qui conditionne la vitesse de la catalyse enzymatique ?

On cherchera donc à mesurer la vitesse d’une réaction chimique catalysée par une enzyme. L’enzyme utilisée sera la Glucose Oxydase (GOD).

La Glucose Oxydase est une enzyme qui catalyse la réaction d’oxydation du D-glucose selon la réaction :

Glucose + H2O +O2 → Acide gluconique + H2O2

C6H12O6 + H2O + O2 → C6H12O7 + H2O2

1°) Justifier l’intérêt d’utiliser un oxymètre dans le suivi de cette réaction.

2°) Réaliser les manipulations suivantes :…

3°) Construire la courbe Vi=f([Substrat]).

On ne développera pas ici le protocole expérimental, dont on peut trouver facilement les caractéristiques dans les manuels ou sur internet.

Les élèves peuvent ainsi déterminer graphiquement les vitesses initiales des réactions enzymatiques.

Exemple de résultats obtenus :

Concentration en glucose (mol/L)Vitesse de la réaction (ua)
0,0001 0,004
0,001 0,020
0,005 0,085
0,01 0,143
0,05 0,234
0,1 0,241
0,5 0,293
courbe1

On cherche à relier les points en trouvant la courbe la plus plausible.

Le coefficient de détermination [2] montre que cette courbe est une courbe de tendance logarithmique.

On explique alors l’existence d’une Vitesse Maximale dont il faut à présent rechercher l’origine. Une discussion avec les élèves peut conduire les hypothèses vers l’existence d’un lien transitoire entre l’enzyme et le substrat provoquant l’apparition du produit : le complexe enzyme-substrat.

Activité numérique

On se propose de modéliser la réaction enzymatique à l’aide d’un modèle informatique construit par les élèves. On utilisera le logiciel de P. Cosentino « Edu’Modèles », en utilisant le module algorithmique (multi-agents).

Principe d’un Système Multi-Agents (SMA)

Un Système Multi-Agents comporte plusieurs agents qui interagissent entre eux dans un environnement commun.

Les agents simulent des actions physiques, biologiques ou sociales qui produisent des modifications du monde représenté. Ex : simulation des épidémies, écosystèmes (proies / prédateurs), réactions chimiques,…

Pour utiliser un SMA, il faut donc définir :

  • les agents à utiliser,
  • les interactions entre agents,
  • l’environnement où ces agents sont susceptibles d’interagir.

Il faut donc commencer par définir les agents (entités) dont nous avons besoin, puis les interactions entre ces agents :

AgentsMobilitéPlacementNombre
Enzyme Oui (50%) Automatique 10 (valeur fixe)
Substrat Oui (50%) Automatique Quantité variable selon les expériences (de 50 à 2500)
Complexe ES Oui (50%) Automatique 0 (au début de l’expérience)
Produit Oui (50%) Automatique 0 (au début de l’expérience)

Pour rendre le modèle plus « fiable » on peut jouer sur la mobilité des entités en considérant par exemple que l’enzyme ou le complexe ES ont des probabilités de déplacement plus faibles vue leur taille.

Les agents sont mobiles et peuvent donc se rencontrer au hasard. Quand deux agents sont situés sur la même case, ils peuvent interagir entre eux. On doit donc définir ensuite les interactions (règles) entre les agents :

Nom de la règleTypeProbabilité de réactionRéactifsProduits
Formation du complexe ES Réaction 25 % Enzyme + Substrat Complexe ES
Libération du produit Réaction 25 % Complexe ES Enzyme + Produit

Image modifiée d’après Catalyse enzymatique (Source :http://svt.ac-dijon.fr/schemassvt/spip.php?article3212)

Le logiciel offre des modèles déjà construits et validés si on veut gagner du temps.

Mais il est sans doute plus formateur de proposer aux élèves de construire eux-mêmes leur modèle.

Lorsque les paramètres sont fixés, on lance le modèle à plusieurs reprises sans changer les conditions expérimentales pour obtenir des données moyennes.

On peut mesurer la vitesse initiale de la réaction in-silico grâce à l’outil « pente » qu’on active en cliquant sur le graphique : la valeur du coefficient directeur apparaît sur l’écran.

Puis on recommence une nouvelle série de mesures en changeant la quantité de substrat.

Le tableau ci-dessous rassemble les données obtenues avec 4 essais successifs, pour différentes valeurs de quantité de substrat.

Résultats obtenus avec la modélisationLes points de la courbe correspondent aux valeurs moyennes calculées à partir des différents essais.

Comme avec les données expérimentales, on peut rechercher la courbe de tendance la plus plausible pour relier les points obtenus par le modèle. La courbe logarithmique semble la plus plausible (R2=0,92), et montre l’apparition d’un plateau correspondant à laVmax.

Les données de la modélisation semblent donc cohérentes au regard des données expérimentales obtenues au cours de l’activité pratique. Si le temps le permet, on peut affiner le modèle par tâtonnement en jouant sur certaines caractéristiques comme la probabilité de déplacement par exemple. Quoi qu’il en soit, il faut garder à l’esprit que seule la réalité compte, et que notre modèle, aussi fiable soit il, reste …un modèle.

Cela fait, on peut utiliser notre modèle pour tester de nouvelles conditions expérimentales. On sort donc du cadre empirique pour rejoindre le champ théorique, en utilisant les capacités prédictives du modèle.

Source : http://modelisationsvt.free.fr/modeles_en_questions/modeles_en_questions_fonction.html

Que se passerait-il si , au lieu de changer la concentration en substrat, on modifie plutôt la concentration en enzyme en maintenant fixe la concentration en substrat ?

On peut choisir de lancer de nouvelles manipulations in-vitro. Mais on peut aussi utiliser notre modèle avec toutes les limites qu’on lui connaît.

On garde donc les mêmes entités et interactions de notre modèle, mais on fait varier les quantités d’enzymes (de 1 à 100) avec une quantité fixe de substrat (150).

Exemple de résultats obtenus à l’aide du modèle

Modélisation de l'effet de la concentration en enzymes

On constate que la vitesse initiale augmente lorsque la concentration en enzyme augmente (la quantité de substrat étant fixée à 150).

On peut comparer cette courbe à une courbe obtenue expérimentalement :

Source : http://www.didier-pol.net/3ENZYMO.html

En conclusion, on montre ainsi le va-et-vient constant entre une réalité expérimentale et un modèle explicatif (ici la notion de complexe enzyme-substrat). Le modèle informatique construit à partir des observations montre un certain réalisme qui conduit à l’utiliser dans des conditions nouvelles [3] (ici la variation de la vitesse initiale en fonction de la concentration en enzyme).

L’investigation sur le mode d’action des enzymes pourrait se poursuivre par l’utilisation d’un nouveau modèle, le modèle moléculaire avec Libmol ou Rastop afin de dégager la notion de site actif.

Pour aller plus loin :

A propos de la validité des modèles : https://interstices.info/a-propos-de-la-validite-des-modeles/

[1Qu’est-ce qu’un modèle ? Voir https://www.pedagogie.ac-nice.fr/svt/?p=1392

[3’La fécondité d’un modèle est l’ensemble des résultats et des conséquences non prévus que son usage entraîne.’ (LEGAY Jean-Marie, L’expérience et le modèle, Un discours sur la méthode, Éditions INRA, Collection Sciences en questions, 1997, 112 p.)

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